Willy Ronis
est photographe. Né en 1910, il débute comme reporter, illustrateur, travaille pour Life, des magazines de mode, l’agence Rapho. S’il rejette l’idée de spécialisation, photographe-polygraphe, il aime fixer les situations et les gestes du quotidien, maîtriser le hasard, avec un attachement particulier à Paris.





La photographie était-elle une vocation ?

Willy Ronis : J’étais plutôt passionné par la musique. Mais en 1932 mon père, qui avait un studio de photographie, m’a proposé de travailler avec lui, en pleine crise économique. Je suis devenu photographe en boutique et en studio. Je n’étais pas heureux du tout. A seize ans, il m’avait offert un appareil ; c’était pour moi un jouet très agréable. J’avais des dispositions pour prendre des photos correctes. Mon père est mort en 36. J’ai vendu le magasin une bouchée de pain et j’ai dû commencer à gagner ma vie avec la photo. Je faisais des portraits à domicile, des paysages pour les administrations, la SNCF, le commissariat au tourisme, pour quelques journaux aussi.


Pensez-vous d’emblée au résultat ?

Ha ! oui ! Mais je ne prévois pas toujours le geste. Lorsque j’ai saisi un geste qui du point de vue esthétique comble une certaine satisfaction, un désir d’harmonie chez moi, je suis alors à peu près sûr du résultat. Ce qui n’exclut pas les erreurs.


Pourquoi le noir et blanc ?

Parce que je préfère le noir et blanc. Tout le processus est maîtrisable, je suis chaque étape du travail. Par ailleurs, quand j’ai commencé à travailler, on ne faisait pas de couleur, c’est arrivé au milieu des années cinquante. Mais je fais de la couleur parce qu’on me demande de faire de la couleur.


La photographie ne fait-elle pas du photographe le plus juste témoin de son temps ?

Il y a très longtemps que je pense que l’objectivité est un mythe. Seule l’honnêteté existe. Assurément, on peut décider de ne rien faire qui heurte sa propre vision du monde, sa propre échelle de valeur, c’est-à-dire ne pas tronquer, ne pas truquer. C’est une position morale. Mais la photographie ne va pas changer le monde. On peut être témoin : il faut être un témoin sincère et honnête. Mais là, l’honnêteté et la sincérité sont soumises à des distorsions possibles, et très fréquentes de la part des utilisateurs. J’ai l’objectivité de ma subjectivité !


Vous photographiez Paris depuis 1926. Quels changements vous ont frappé ?

Il y a une désaffection. Je suis un photographe de la vie quotidienne. Mais la vie de quartier a disparu. Quantité de rues de Paris sont mortes maintenant, où je faisais des photos jadis. Les magasins ont fermé. Il n’y a personne dans les rues. Je ressens moi-même une certaine désaffection, un désenchantement quant à mon activité de photographe de Paris. Pourtant, j’y suis né. Je suis issu d’un milieu modeste. Il y a un climat. Et c’est dans les milieux populaires que je me sens le mieux.


Comment vous apparaissent les dimanches d’hier et d’aujourd’hui ?

La bagnole est à l’origine de grandes modifications. J’ai beaucoup photographié les bords de la Marne dans les année 50. Avec la voiture, la Marne devenait trop près. Les guinguettes ont disparu. On tente aujourd’hui de les recréer, mais l’atmosphère n’est plus la même. Le charme des dimanches est ainsi plus difficile à saisir que jadis.


L’arrivée de nouveaux médias sonne-t-elle le glas de la photo ?

La fin de la photographie, je n’y crois pas. La crise oui. La télévision fait une grosse concurrence à l’information, elle draine une grande partie des budgets de publicités. Il y a donc moins de publicité dans les hebdos, et donc moins de photos.


Quel rapport faites-vous entre la mémoire et la photo ?

La photo est un instantané. Si vous choisissez un moment caractéristique du déroulement de la vie sous vos yeux, et si vous avez quelque chose à dire, à ce moment-là, la photo est un aide mémoire, un auxiliaire de la mémoire, comme le fil qu’on tire et qui amène plein de choses avec lui. Vous regardez pour garder.


Pensez-vous que le photographe a un message à transmettre ?

Non ! Il y a là de la prétention. Pour autant, quelques photos particulièrement fortes peuvent être interprétées comme des messages. Si elles dégagent une émotion profonde qui colle véritablement à une réalité de forte valeur intrinsèque.


Que ressentez-vous face à votre parcours photographique ?

Je ne suis pas satisfait. Non par orgueil. Je pense que j’aurais dû faire mieux. Il y a des moments où je n’ai pas choisi le bon chemin. J’ai manqué d’audace, de confiance en moi probablement, parce que j’ai été jeté dans la photographie sans avoir le choix. Je n’ai jamais pensé que c’était ma voie.


Propos recueillis par Jean-Claude Renard


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