Loïc Wacquant – Les prisons de la misère –

éditions Liber, collection « Raisons d’agir », 40 francs.




Sous couvert d’ « insécurité » ou de « violence », les médias ou les gouvernants encouragent et impulsent une répression en particulier contre les pauvres. La pauvreté est devenue un délit.
Au lieu de se demander quelles sont les causes et les raisons de la « délinquance », les leaders d’opinion affirment qu’il faut lutter contre la délinquance par la répression et l’incarcération. Il faut avouer que la prévention de la délinquance au moyen de la lutte contre la pauvreté (création d’emplois, aménagement urbain décent, atténuation de l’esprit de compétitivité économique ou dans tout autre domaine, etc.) fait moins sensation que des flics et des caméras à tous les coins de rue.
Cette idée provient des Etats-Unis et de leur concept de « tolérance zéro ». Et tolérance zéro a pour métaphore (repris de la revue R de Réel) intolérance infinie qui exprime mieux la philosophie employée.
La volonté politique américaine s’exprime donc par la construction de prisons, l’augmentation des effectifs de police et de surveillance carcérale, de nouveaux moyens technologiques et bureaucratiques. Mais pour justifier cette politique répressive, les Etats-Unis ont à leurs bottes une série d’universitaires et de hauts fonctionnaires. Ces derniers peuvent à coup de conférences lucratives affirmer que la tolérance zéro est la condition pour vivre dans un monde merveilleux. Mais le cynisme ne s’arrête pas là. Les policiers de chaque secteur à New York, par exemple, ont des objectifs à remplir et sont évalués à partir de ceux-ci, comme n’importe quel vrp. Ce principe conduisant à l’absurde a généré 345 130 arrestations contre 326130 crimes et délits en 1998. D’autres détails aussi croustillants et effrayants sont évoqués par Loïc Wacquant. L’incarcération n’est pas uniquement la carotte du policier c’est aussi une source de profit pour des constructeurs immobiliers, (l’industrie carcérale est un chouchou de Wall Street : un marché de 4 milliards de dollars, et certaines entreprises carcérales côtées en bourse), et des entreprises technologiques (enceintes électrifiées à décharge mortelle, technologies de détection et de téléphonie de dernier cri, etc.). La délinquance devient également un marché.
Le comble est que le sociologue écrit que la délinquance n’a, statistiquement, pas véritablement augmenté depuis 20 ans, les moyens déployés ne sont donc pas plus indispensables qu’il y a 20 ans. Mais la pression politique et médiatique fait en sorte que ce problème devienne le centre de toutes les préoccupations et de toutes les craintes. Et l’exemple des Etats-Unis est suivi par l’Europe et notamment par la France de gauche ou de droite à grotesques renforts de communication. Si un fait divers somme toute isolé fait la une de tous les médias, et où les présentateurs du journal télévisé annoncent avec une intonation grave « un assassinat horrible a été commis à tel endroit » (avec une accentuation sur les premières syllabes des mots « assassinat » et « horrible »), la délinquance prend une autre proportion. La répression et la peur font bon ménage.
Malheur aux pauvres (chômage et délinquance sont le plus souvent associés) et encore davantage aux pauvres et immigrés. Ce sont les noirs des ghettos qui sont les plus opprimés aux Etats-Unis, ce sont les jeunes des quartiers difficiles qui sont les plus visés en France.
Et la peur permet de tout dire. Sarkozy entend maintenant « mener la guerre aux délinquants ». Le terme « guerre » évoque un avenir plein de respect démocratique… A quel moment pourra-t-il dire qu’il faut buter les délinquants et a fortiori les pauvres ne participant pas à la consommation ? Au train où vont les choses, dans pas longtemps…
La somme des faits rapportés par Loïc Wacquant démonte bien l’aspect totalitaire constitué par l’Etat pénal. Cela va presque sans dire.

Etienne Louis





 

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