Sensuelle et polyphonique métaphore, les mots et la matière.


Ecrite ou entendue, visuelle ou charnelle, de corps et d’esprit, la métaphore est le champs de fleurs de notre imagination et de capacité à dire le monde autre que le réel plutôt même « immonde » comme disait Lacan ; émotionnelle certainement, joyeuse souvent, la métaphore est aussi la signification d’une connaissance qui s’exprime en même temps qu’elle s’imprime. Nous vivons avec elles comme par photosynthèse, en nous y ressourçant de plaisir et de nécessité.

Outre le fait que la métaphore soit une des questions philosophiques les plus en vue dans la philosophie analytique, la multiplicité des théories dont elle est l’objet pose parfois certains problèmes lorsqu’on essaye de découvrir et de déterminer dans la métaphore quel peut être le contenu de connaissance qu’elle apporte au langage, certaines théories limitatives la réduisant souvent à une fonction un peu lapidaire du type « la métaphore, c’est avant tout ça et pas autre chose », et lui font perdre ainsi tout son miel ; de plus, ces théories donnent parfois lieu à des explications qui ne tiennent pas la route et qui s’auto-éliminent lorsqu’une métaphore inédite ou inouïe se présente à nous. Enfin, l’extension des métaphores dépasse de loin le simple usage verbal ou le mot d’esprit, celles-ci s’appliquent aussi à des supports comme l’image ou le son, ce qui rend leur découverte moins aisée mais certainement plus jouissive.
La première erreur serait de considérer ceci, il y a une réalité toute faite et un compte-rendu véridique de cette réalité simpliciter. Une métaphore ne pourrait avoir aucune prétention à nous faire connaître quoi que ce soit parce qu’elle apparaît comme un énoncé manifestement faux.

Ainsi dire
(1) Sonia est une sacrée tigresse
en parlant de ma dernière conquête

ou (2) Virginie est une grosse gourde
à propos de ma collègue de travail

sont faux car (1) Sonia, littéralement, – et sans aucun doute hors contexte sexuel à son tour métaphorique – , ne rugit pas, n’a pas de griffes et ne s’accouple pas avec des animaux sauvages à rayures flamboyantes dans la jungle sri-lankaise, pas plus qu’elle ne suscite aucune sanctification animiste dévotionnaire (du moins dans sa vie publique), tout comme (2) Virginie n’est pas un récipient métallique généreusement bombé destiné entre autres à parcourir les champs lors des sorties scolaires en balançoire le long des cuisses des jeunes écoliers en étant remplie d’eau pure et saine pour la vie et pour l’hydratation de nos petites têtes blondes. Bien sur, il est toutefois dommage de dénier à ces propositions toute valeur cognitive car si elles sont littéralement fausses, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas métaphoriquement vraies.
Ce qui ne signifie pas non plus que la thèse de remplacement de la métaphore y trouve aussi une justification, selon laquelle une métaphore peut toujours être paraphrasée par un énoncé non métaphorique. Cet énoncé pourrait donc avoir un contenu cognitif alors que la métaphore dont il est une paraphrase n’en a pas. Ainsi, à (1) Sonia est une sacrée tigresse correspondrait en fait à l’expliquer comme étant (3) « une personne particulièrement violente en amour et d’une avidité sexuelle sans limite », et à (2) Virginie est une grosse gourde, (4) « une femme sans grande délicatesse ni finesse dans ses propos et façons d’agir de manière efficace, intellectuellement limitée et somme toute assez stupide ». Mais on ne voit pas pourquoi les premières propositions n’auraient pas de contenu cognitif alors que les secondes sont supposées en être les équivalents. De plus, qu’elles soient équivalentes est assez douteux, que les premières soient juste un ornement rhétorique ne leur ôte pas le moins du monde une valeur de connaissance aussi efficace que les secondes, voire plus car émotionnellement beaucoup plus attirantes. Ce qui contredit cette autre thèse limitative qui soutient que la métaphore est essentiellement émotionnelle et de ce fait absolument pas cognitive. Or, lorsque je qualifie une femme de tigresse ou de gourde, outre la charge émotionnelle que transportent de telles affirmations – même vues d’une perspective mâle elle aussi assez réductrice j’en conviens – cela m’apprends aussi quelque chose sur Sonia ou Virginie qui est autre, qui est en fait exactement ce que je veux dire d’elles, ce qui rejette l’idée que parler de sens métaphorique à propos d’un locuteur, en soutenant que ce qu’il veut dire, il ne le dit pas littéralement en utilisant une métaphore, soit vrai.
Cette théorie en quelque sorte explique la métaphore en l’éliminant. Si le locuteur voulait dire autre chose que ce qu’il dit en utilisant la métaphore il y aurait (1) Sonia est une sacrée tigresse, je ne veuille pas dire ce que je soutiens métaphoriquement néanmoins ; or, ce que je veux dire est bien qu’elle est une tigresse et pas autre chose. Cela n’empêche pas d’autre part, je peux très bien être agacé de mes propres métaphores et ne plus reconnaître ce qu’elles veulent dire comme étant exactement ce que je veux dire ou écrire, ainsi si je soutiens (5) Sonia est une fleur à butiner pour chaque homme qui passe, je précise ce que je veux dire car (1) antérieurement faisait défaut métaphoriquement et je pense qu’il faut maintenant le corriger, je jette de la sorte une lumière nouvelle sur mes propres façons de communiquer métaphoriquement ce qui montre bien qu’une métaphore exprime parfaitement ce qu’on veut dire et qu’elle n’est pas une déviation ornementale en deçà de ce que je veux réellement dire, mais qu’elle peut au contraire m’accompagner dans la précision de ma pensée en l’affinant. Certaines métaphores perdent ainsi par un usage trop répandu leur charme initial, si lorsque j’appelle Sonia mon « bébé » ou que mon voisin anglais susurre à sa rousse « honey », je doute que l’effet métaphorique puisse encore fonctionner, par contre si je roucoule « mon miel » à l’oreille de ma bien aimée – à Sonia plutôt qu’à Virginie donc – , une certaine saveur peut pour un temps s’en dégager et me permettre de réactualiser (1) pourquoi pas !! J’ajoute qu’étant donné (1), il est fort probable que j’ajusterais ma métaphore de façon beaucoup plus excessive et filoute…
La métaphore a une vérité bien spécifique, car sa valeur est liée à l’écart qu’elle produit à l’égard du discours littéral, mais cela ne veut pas dire non plus que la vérité de la métaphore soit autre que celle de laquelle elle s’écarte.
Lorsque je dis :
« L’allumette s’enflamme »
Et : « Les yeux de Sonia s’enflamment »
Sauf accident regrettable, bien évidemment, la seconde proposition est une métaphore. L’extension est ici une différenciation et pas la vérité ou non de l’« inflammation » qui est indiquée. On le voit, la présence de la métaphore dans notre langage est très large car elle commence dès l’usage de propositions somme toute assez banales et peut aussi bien désigner des lieux communs scientifiques pourtant difficiles à accepter, comme la casserole de la grande ourse ou encore les trous noirs. Mais il serait de la même manière faux d’affirmer en conséquence que tout langage est métaphorique. Toute vérité serait alors métaphorique et le monde deviendrait une vaste fable. Ce qui revient à supprimer du même coup la théorie de la métaphore car si tout langage l’est, aucun ne l’est. Si notre vie est un rêve absolument, la notion de rêve n’a plus aucun sens, encore moins si toutes les femmes sont réellement des tigresses, ce qui peut par contre être soutenu dans des paradoxes fictionnels à l’image de Nastassja Kinski ou Catherine Deneuve dans leurs films de jeunesse, cette dernière ayant pour sa part aussi parfois basculé dans la proposition (2), mais c’est une autre histoire.
Il ne faut pas banaliser la métaphore en disant qu’elle est un codage dont règle serait une communauté d’attribution avec les éléments du langage littéral qui utilisés métaphoriquement reprennent des éléments communs à ce que vise la métaphore et ce qu’est littéralement ce qu’elle vise. Cela reviendrait à faire des tigresses des femmes et non plus des femelles et que dire de la pauvre Virginie, la gourde entre toutes les gourdes. Si Virginie et la gourde ont quelque chose en commun, cela n’apporte aucune information tant à propos de Virginie que des gourdes en général. D’autre part, si j’affirme décidément charmé à bloc que Sonia a la volupté d’une gorgone, je peux difficilement prétendre qu’il y a quelque chose de commun entre elle et quelque chose qui n’existe pas. Ici, je compare deux représentations qui donnent une étendue de la – relative – complexité de la comparaison, car ce ne sont pas des objets qui entre dans ce jeu mais des prédicats auxquels ils réfèrent. Et l’extension métaphorique est beaucoup plus savoureuse et vaste que ce petit article.

claude Ollivier

 


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