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OZ : tout est permis
Parmi les nombreuses séries programmées pour cette
rentrée, peu d'entre elles nous intéressent, nous
accrochent, c'est pourquoi nous nous intéresserons ici au
créneau horaire réservé aux insomniaques et
qui auront la chance de "mater" Oz. Il y a quatre ans
environ, une chaîne du câble proposait une série
intitulée Oz. Pour ceux qui avaient la chance d'être
équipé cette série leur rappelle certainement
de grands moments de réalisme et certainement de solitude.
Cette année, c'est M6 qui s'y colle et cette série
semble bizarrement passer inaperçue en cette période
où des mots comme sécurité, prison, barbarie,
gangs n'ont jamais été aussi porteur pour un gouvernement
qui impose déjà une triste réputation.
A Oz, pas de romantisme gangsta, pas de bons ni de mauvais, juste
des hommes enfermés dans une cage, plutôt un laboratoire
transparent, réduit, et peuplé de clans. Jamais peut-être
le terme de "real TV" n'aura autant collé à
la fiction tant les acteurs passent pour de véritables cobayes,
comme doivent l'être les véritables détenus.
Ici on peut bien sûr prendre part pour tel ou tel autre groupe
selon ses affinités seulement la spirale de violence vous
entraîne dans des règlements de compte qui vous submerge
à une vitesse qui ne laisse finalement que peu de place au
jugement. Car pour parler de jugement il faut aller au-delà
de toute considération politique, religieuse et ethnique.
Tout est froid, distant et sans réelle logique : on met le
feu à un détenu "macaroni" comme vous allumez
une clope, on mutile, on castre un "négro" comme
on l'a tous fait avec une mouche, un hispano arrache le cœur
d'un haïtien responsable d'avoir arraché la langue d'un
fils trop grande gueule… bref toutes ces petites choses qui
font d'une prison un endroit peu recommandable où tout le
monde est responsable sans y trouver à terme la rédemption
par la mort.
Les mâtons, les aumôniers, les toubibs n'ont pas de
sourires à arborer, comme sur cette adorable publicité
lancée par le ministère de l'intérieur et qui
vous invite à rejoindre une équipe au grand cœur
dans un lieu où l'on vous fera toujours croire qu'une visite
y est forcément bénéfique. Pour qui? Vous trouverez
à Oz des mâtons ripoux, des aumôniers en exil
pour avoir désavoué les hautes instances du Vatican,
du personnel qui baise comme des animaux dans le désespoir
le plus total car personne ne sort de cette prison, il n'y a pas
de vie après Oz, du moins on en sait rien. Le spectateur
ne sort jamais, il n'accompagne pas ce personnel/détenu chez
lui où la guimauve pourrait couler, coller et accrocher les
acteurs une fois dans leur maison de banlieue, les enfants jouant
sur la pelouse courant dans les bras de papa/maman, Bobby le chien
par l'odeur alléché se jetant sur son maître
dans des ébats dignes des plus trash films scandinaves. Comme
si de rien n'était, comme si passer 8 heures dans un tel
endroit pouvait s'oublier une fois dans la voiture, une K7 de Mariah
Carey dans l'autoradio et hop! En route pour la joie.
La force de Oz réside dans ce mélange des conditions,
des fonctions, des races. Tout et tout le monde est bousculé,
retranché dans ces propres convictions, chacun se remet en
question contraint de vivre avec ses peurs, remettre en question
ses préjugés. Si les déclarations "sentimentales"
ont lieu c'est pour se raccrocher à quelqu'un, quelque chose,
pour ne pas sombrer dans la haine, sans non plus sombrer dans le
gnangnan. On se raccroche aussi à la religion, mais ici dans
toute sa diversité, les musulmans, les catholiques, les protestants
tous ont leur place, leur implication dans l'horreur, la violence
et le rachat d'une âme. La haine n'est plus ni blanche ni
noire, la compréhension s'impose dans des mesures insoupçonnées,
la légitime défense pure et dure a droit de cité
chez les détenus comme chez le personnel encadrant. Si vous
êtes valides physiquement et mentalement vous faites partie
intégrante du bal, on vous cogne/vous cognez, on vous viole/vous
violez, seuls les grabataires, les handicapés ou encore anthropophages
gardent une place à l'ombre. Sur l'échelle des atrocités
tous sont à égalité et seule la solitude peut
épargner d'être emporté dans un engrenage à
l'intérieur de ce "labo".
Car c'est bien d'un engrenage sans fin dont il s'agit pour beaucoup.
Témoin ce détenu en fauteuil, cette voix off qui présente
chacun avec son passé, son matricule. Cet homme en fauteuil
qui tourne dans le vide, en apesanteur, comme un hamster dans une
roue, déconnecté de la réalité, flottant
au dessus de tout, emportant avec lui l'existence d'un autre détenu
près à quitter le sol, la terre, comme une entité
spirituelle rendue supérieure par une déficience physique,
un MC en fauteuil roulant qui lui aussi retombera peut-être
en enfer. Une présence à part dans un monde où
le physique et la force sont ailleurs, toujours synonyme de survie.
OZ, tous les mercredi sur M6 à 23h30.
Jean-Pierre Françoise
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